Reportage : L'écosystème fait la force
Le 06/09/2021
Et si l’agriculture s’inspirait plus de la nature ? Pour sécuriser notre alimentation de manière durable, s’adapter au changement climatique et contribuer, au final, à son atténuation. Pas moins ! Seule condition : s’appuyer sur les écosystèmes au lieu de les dégrader. Un exercice subtil et sensible… à reproduire pour ouvrir le champ des possibles. En agriculture, mais pas que.
Ici une mare avec ses libellules, tritons et canards mangeurs de limaces ; là une haie où résident coléoptères et autres trichogrammes dont les larves se délectent des parasites ; au loin un talus où poussent féveroles d’hiver et tournesol.
En Normandie, la ferme du Bec Hellouin expérimente de nouvelles formes d’agriculture, durables et économes en énergie fossile. « Nous créons des interactions bénéfiques, à l’instar des écosystèmes naturels, explique Perrine Hervé-Gruyer, cofondatrice de la ferme et coauteure du livre Vivre avec la terre (Éd. Actes Sud). Par exemple, pour faire fuir la mouche de la carotte, nous utilisons certaines associations de plantes odorantes, menthe, thym, romarin… Nos cultures échappent aux effets des ravageurs et des maladies non pas parce qu’on ne les a pas – on les a tous – mais parce qu’on a tellement de biodiversité que tout s’équilibre. » Travailler dans le sens de la vie plutôt que contre elle ! Partout, cette approche gagne du terrain pour réinventer l’agriculture. Et pour cause, elle est aujourd’hui considérée par les Nations unies comme la principale menace pour la biodiversité. Autour des cultures, les dégâts sur les écosystèmes sont palpables : disparition des haies et des arbustes, déclin des oiseaux et des abeilles, érosion et contamination des sols… Des impacts dont l’ampleur et l’origine ont été trop longtemps ignorées.
Le mot « écosystème » n’apparaît qu’en 1935. Auparavant, les espèces sont étudiées de manière individuelle en laboratoire. Puis, on comprend que les organismes interagissent et modifient leur milieu naturel qui, en retour, agit sur ces organismes. Tout est relié. « Les écosystèmes sont multiformes, mais aussi très poreux, souligne Jacques Tassin, chercheur en écologie végétale au Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement). Par exemple, on peut décider qu’un bois – ou même un quartier urbain – est un écosystème, tout en sachant que les espèces qui l’habitent interagissent aussi avec les autres espaces proches. »
DE PRÉCIEUX SERVICES
Mais en quoi les écosystèmes nous sont utiles ? Il est habituel de répondre à cette question par l’énumération de ce que l’on appelle les « services écosystémiques ». Ainsi, insectes, oiseaux, micro-organismes, etc. rendent de précieux services à l’agriculture : pollinisation, bien sûr, mais aussi régulation des ravageurs, recyclage de la matière organique, épuration de l’eau… À eux seuls, les vers de terre peuvent augmenter de 25 % le rendement des cultures. Or, dans trouve jusqu’à 130 fois moins de lombrics que dans une prairie ! « En agriculture, tous les agrosystèmes sont des écosystèmes, mais tous ne se valent pas sur un plan écologique, loin s’en faut ! Cela peut demeurer un écosystème très appauvri et très artificialisé, comme on l’observe le plus souvent en agriculture conventionnelle », remarque Jacques Tassin.
Plus que tout autre groupe social, les paysans sont les gardiens des écosystèmes sur lesquels ils doivent s’appuyer. Perrine Hervé-Gruyer de la ferme du Bec Hellouin.
La pérennité des cultures nécessite des écosystèmes riches et une grande variété de plantes cultivées. Logique : les espaces où plusieurs espèces remplissent les mêmes fonctions sont plus stables que les autres. De ce point de vue, la biodiversité constitue donc une forme de résilience des écosystèmes, expression qui caractérise leur capacité à retrouver leur état initial après une perturbation. La monoculture de pins sylvestres, par exemple, est bien plus vulnérable qu’une forêt mélangée face au risque de sécheresse ou d’apparition d’un parasite.
Il y a un siècle on pratiquait abondamment l’agroforesterie, qui consiste à associer des arbres à des cultures annuelles et/ou à des élevages.
RENOUER LES LIENS
Dans le Pays basque français, Félix Noblia associe l’agriculture biologique avec les pratiques de conservation et de régénération des sols. « Ces pratiques sont un énorme champ de recherche depuis quelques années, précise l’agriculteur-chercheur et vice-président de Fermes d’avenir, une association qui œuvre pour créer des fermes agroécologiques*. Par exemple, on fait pousser des plantes qui vont nourrir le sol, puis on les écrase pour former un paillage et céder la place à la culture principale, blé, courges, salades par exemple. Cela protège le sol des chaleurs et de l’érosion. On évite aussi les labours qui tendent à détruire progressivement l’humus et donc à libérer du carbone. » Comme dans une forêt, il y a peu de matière qui entre ou qui sort, simplement de l’énergie apportée par le soleil.
Favoriser les pâturages et multiplier les rotations de cultures permet de ne jamais laisser le sol nu et d’augmenter les apports organiques, comme ici à la ferme de Félix Noblia au Pays basque.
Même son de cloche réjouissant du côté de l’Alsace, chez Marie et Jean-Paul Zusslin, vignerons selon les principes de la biodynamie**. « Nous avons choisi d’implanter diverses essences d’arbres et des nichoirs au cœur du vignoble, raconte Marie Zusslin. L’idée, c’est d’abriter un maximum d’oiseaux qui vont manger les ravageurs. Au point que nous n’utilisons plus d’insecticides bio sur le domaine. De même, nous pratiquons la polyculture avec des vergers et créons des partenariats avec des bergers et des apiculteurs afin d’autoriser une plus grande résilience face aux accidents climatiques. Au fil des ans, cet écosystème s’équilibre et devient de plus en plus fertile. »
Dans sa ferme d’Orschwihr, en Alsace, Marie Zusslin associe la faune et la flore, domestiques et sauvages, pour favoriser un écosystème équilibré et fertile dans les vignes et autres culture
Pour ces agriculteurs, cette heureuse perspective permet d’atteindre un sentiment plutôt libérateur, celui de vivre tissé dans un monde vivant. Des paysans et des paysannes bien dans leurs bottes, c’est d’ailleurs tout le projet de Biocoop ! Le réseau s’est engagé dès son origine à développer une agriculture biologique avec des prix justes pour leur permettre de mieux vivre et d’investir dans des pratiques agricoles vertueuses (voir p. 30). Dans les territoires, il favorise les circuits courts et l’alimentation locale. En ville, les magasins refont le lien avec ce monde. « J’apprécie énormément nos échanges et la proximité avec Biocoop. C’est cohérent : tout un écosystème pour combattre l’egosystème », sourit Marie Zusslin.
* L’agroécologie consiste à tirer parti des services rendus par les écosystèmes pour produire ce dont nous avons besoin.
** Mode d’agriculture bio qui prend en compte toutes les forces de la nature, cycles solaires et lunaires compris, pour renforcer les sols et leur écosystème et optimiser la qualité des aliments.
Retrouvez l'intégralité de cet article dans le n° 117 de CULTURESBIO, le magazine de Biocoop, distribué gratuitement dans les magasins du réseau, dans la limite des stocks disponibles, ou à télécharger sur le site de Biocoop.